Entretien avec Metin Cig, Concepteur Effets Spéciaux et Chef de groupes Concepteurs Spectacles
Le tout nouveau spectacle de Studio Theater au Parc Walt Disney Studios est une expérience immersive inédite qui plonge les spectateurs comme jamais dans certains des univers les plus iconiques de Pixar.
Pour créer les effets spéciaux de ce voyage multisensoriel, Metin a mis tout son talent et le savoir-faire qu’il a développé au cours de ses nombreuses années à Disneyland Paris.
Comment as-tu rejoint Disneyland Paris ?
Durant mes études, j’ai travaillé dans un théâtre parisien comme contrôleur-ouvreur et j’ai eu l’occasion de passer en coulisses en tant que machiniste. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré un intermittent qui m’a dit que Disneyland Paris recherchait des collaborateurs dans cette branche. J’ai tenté ma chance et j’ai été embauché. Je suis arrivé en juin 1995 et depuis, je ne suis jamais reparti !
Rien ne te destinait pourtant à cette carrière…
C’est vrai, et j’en suis toujours le premier étonné ! À la base, j’ai un BTS de frigoriste mais j’ai complètement abandonné cette filière. Il faut dire que le milieu du spectacle est grisant. Quand on y rentre et qu’on est heureux chaque jour d’y travailler, on se dit qu’on est à sa place. J’avais 21 ans à l’époque et j’ai rejoint une équipe de jeunes comme moi. On n’avait pas l’impression de travailler, on s’amusait et on prenait du plaisir à faire réagir les gens du public. On avait le sentiment d’appartenir à une équipe. Il y avait beaucoup de gens qui, comme moi, ne venaient pas du monde du spectacle. Certains venaient du BTP ou de l’artisanat et aujourd’hui, ils ne quitteraient la machinerie pour rien au monde ! Ils aiment ce métier, ils aiment le faire et Disneyland Paris est le lieu idéal pour vivre cette passion.
À partir de là, comment as-tu évolué au sein de l’entreprise ?
En tant que machiniste, j’ai participé à plusieurs spectacles comme « En Scène, S’il Vous Plaît ! » (1995) à Fantasy Festival Stage, puis je suis passé Chef de Plateau sur « Pocahontas, le Spectacle ». J’ai eu la chance de prendre part à des productions iconiques comme « Animagique », pour l’ouverture du Parc Walt Disney Studios et, au bout de quelques années, on m’a proposé de quitter les opérations pour devenir Responsable Technique Support Machinerie et Effets Spéciaux. C’est comme cela que je me suis familiarisé avec les effets spéciaux. J’ai fait mes premiers pas dans ce domaine pour le spectacle de Videopolis « La Légende du Roi Lion ». J’ai d’abord assisté le technicien effets spéciaux, puis j’ai pris sa suite. Tout s’est alors enchaîné, avec notamment « Place à la fête… avec Mickey et ses amis » (2009), ses scènes satellites rayonnant sur Central Plaza et ses nombreux effets. Aujourd’hui, je suis au département technique spectacles et je m’occupe également de tous les designers spectacles depuis 2018.
Quelles sont les productions qui t’ont le plus marqué ?
Il y a d’abord « Pocahontas, le Spectacle ». C’était incroyable : il y avait des cascadeurs, une rivière en feu et un bateau qui venait sur scène. Et surtout, nous, les machinistes, nous jouions dedans ! Nous faisions partie du spectacle. Toutes les mises en place d’accessoires se faisaient en live. Nous sortions de l’ombre. L’ambiance était vraiment extraordinaire et cela reste l’un de mes plus beaux souvenirs. Je pense aussi à « Disney Classiques : La Musique et la Magie » (1997) à Videopolis. C’était un régal pour les amateurs d’effets spéciaux comme moi : on y voyait Ariel nager au-dessus de la scène, Mary Poppins voler, ainsi qu’Aladdin et Jasmine sur leur Tapis Volant. Il y avait également un superbe tableau sur Le Bossu de Notre-Dame. Beaucoup d’effets comme les changements de décors étaient réalisés en direct, manuellement, au rythme de la musique.
Il y a aussi Disney Dreams!, qui a fait son grand retour le 12 avril dernier.
C’était la grande nouveauté de 2012 et c’est resté un spectacle emblématique de notre destination. Tout était à inventer. Les effets pyro comme les jets de flammes ont fait l’objet de nombreuses discussions et de nuits entières de programmation. Je suis très fier d’avoir participé à son lancement et je suis encore plus fier d’avoir réécrit le design pyrotechnique du spectacle pour sa réouverture. À l’époque, j’avais assisté le concepteur américain de cet effet pour qui j’ai énormément d’admiration et aujourd’hui, je suis tellement heureux d’avoir pris le relais et d’avoir apporté ma touche personnelle. Dès que j’en ai l’occasion, je vais le revoir et je choisis une place exactement au milieu du public pour voir les réactions des gens. Cela me remplit toujours de joie !
Et te voilà maintenant sur « TOGETHER : une Aventure Musicale Pixar ». Quelles sont les particularités de ce spectacle ?
La grande nouveauté, c’est cette immersion vidéo. Il y a des écrans LED partout, et même une dalle LED au sol qui prend la totalité de la scène. La vidéo, c’est un média qu’on connaît, à la télévision ou dans les concerts, mais le fait de le voir sur scène, et dans ces conditions, je peux vous assurer que c’est bluffant. On passe vraiment dans le monde des jouets, le monde de Toy Story. Pour l’avoir vu et revu en répétition, je n’en reviens toujours pas ! En voyant nos artistes évoluer au milieu de ces écrans, on se prend tout de suite au jeu. C’est une innovation assez fantastique.
Le public est lui-aussi immergé dans cet univers.
Exactement. De par ses proportions, Studio Theater était la salle idéale pour que ce genre d’expérience immersive fonctionne. Quand on rentre dans l’univers de Toy Story, tout le mobilier de la chambre devient géant et les jouets prennent taille humaine. Cela permet aux spectateurs de se sentir à leur tour comme des jouets. C’est vraiment génial !
Comment les effets spéciaux participent-ils à cette immersion ?
La quasi-totalité des effets physiques ont lieu dans la salle. Je pense notamment aux gouttelettes qui vont tomber sur les gens au moment où un personnage tombe dans l’eau. C’est un effet qui a déjà été fait, mais qui prend ici une tout autre dimension parce qu’il est en lien direct avec ce qui se passe sur cette scène incroyable. Quand je l’ai vu fonctionner pour la première fois, j’étais comme retombé en enfance. Je ne m’attendais pas à ce que cela marche aussi bien. À Disneyland Paris, on s’efforce depuis des années à rendre nos spectacles et nos expériences toujours plus immersifs. C’est donc une approche que je connais bien. Mais me surprendre moi-même, cela ne m’était jamais arrivé. Je pense que cela surprendra tout autant nos spectateurs, tout comme les effets de vent ou en odorama.
En parlant d’odorama, comment as-tu utilisé ce procédé ?
La première fois que nous l’avons utilisé, c’était pour « La Parade des Rêves Disney », à l’occasion de notre 15e anniversaire. C’était tout nouveau. Chaque char avait son propre parfum. La différence sur « TOGETHER », c’est que nous ne voulions pas diffuser des odeurs en permanence, mais au contraire créer la surprise avec une touche parfumée qui apparaît en conjonction avec un moment précis dans chacun de nos trois tableaux. Je pense tout particulièrement à la scène avec Lotso, l’ours en peluche de Toy Story 3 qui sent la fraise. C’était le personnage idéal pour dégager une odeur que le public pourrait sentir. Je suis parti de deux parfums que j’ai testés dans une salle à part avec nos deux metteurs en scène en les diffusant tour à tour au moyen d’un ventilateur et nous sommes tous tombés d’accord sur le produit qui incarnait le mieux Lotso. Il est très important que la diffusion soit très brève. L’odeur est juste un moyen de renforcer l’arrivée du personnage, comme un flash, et elle ne doit en aucun cas empiéter sur les autres parfums que nous utilisons pour les autres tableaux, d’autant que nous sommes ici dans une salle fermée, avec un spectacle qui se joue cinq fois par jour. Nous avons donc fait de nombreux tests pour déterminer le moment et la durée de diffusion. Chaque spectacle est unique et ce que l’on peut faire en matière de parfum d’ambiance dans Studio D par exemple n’a rien à voir avec ce que nous faisons ici. Trois parfums différents dans un seul et même spectacle, c’est un véritable défi !
« TOGETHER » étant une « Aventure Musicale », comment la musique s’intègre-t-elle dans tout ce dispositif ?
C’est une touche d’émotion en plus. Le fait d’avoir des musiciens présents sur scène et qui jouent en live, c’est un effet à lui tout seul. En plus, ils interprètent certaines des chansons Disney Pixar les plus célèbres. C’est vraiment magique. Avec le visuel et les effets, tous les sens sont à la fête !
Tout cela forme un spectacle particulièrement poétique.
Complètement. Rien à voir avec un feu d’artifice ou un spectacle de cascades. Ce sont les dessins animés que l’on a découverts en famille qui prennent vie ici d’une manière totalement nouvelle. On ne peut s’empêcher d’avoir le sourire. C’est un festival d’émotions.
Comment s’est passée ta collaboration avec l’équipe créative ?
Dans mon métier, on est impliqué assez tôt dans le processus, dès que les premières idées sont couchées sur le papier par les Metteurs en Scène. Dès qu’un concept global est mis sur pied, nous, designers et directeurs techniques, nous rentrons dans le vif du sujet pour répondre aux besoins des créateurs du spectacle en essayant de comprendre leur vision et en trouvant des moyens de la concrétiser en termes de lumière, de vidéo, etc. Par exemple, pour ce qui est des effets spéciaux, quand le Metteur en Scène dit qu’il veut du vent pour le moment où on rentre dans le monde de Là-Haut, tout de suite on réfléchit aux différents endroits où placer notre matériel et comment développer toute cette partie technique pour que la magie opère en vrai dans la salle. Des fois, cela ne fonctionne pas, et il faut trouver d’autres solutions. À l’inverse, il y a des fois où on pense que cela ne va pas marcher et on arrive pourtant à des choses étonnantes. Il faut aussi s’assurer que chaque effet apporte quelque chose à l’histoire et aux émotions. Un effet pour lui-même ne sert à rien. Pour y parvenir, nous avons des échanges pendant plusieurs mois avec les créateurs tandis que le spectacle se construit petit à petit. Tout au long de ce processus, on fait énormément d’essais. Le but, c’est qu’à la générale, on ait réussi à fournir la totalité des effets souhaités par notre direction artistique.
C’est un défi permanent car il faut sans cesse se réinventer.
Chaque spectacle est unique, chaque scène est unique. Même si on connaît un effet par cœur, il faut toujours le repenser entièrement. Un effet de fumée lourde qu’on va utiliser sur « Mickey et le Magicien » ne pourra pas du tout être déployé de la même manière sur « TOGETHER ». Une machine à bulles peut être utilisée d’une certaine manière à Studio D, mais devra l’être d’une tout autre à Studio Theater. Donc même si le matériel est le même, tout est à réimaginer en permanence. Le but n’est pas d’aller chercher absolument une nouvelle technologie. Il faut au contraire qu’on réfléchisse comment faire fonctionner notre matériel de manière durable tous les jours et comment l’installer sur un nouveau spectacle. C’est comme un artiste, un comédien, qui ne sera jamais mis en scène deux fois de la même manière. C’est passionnant.
Que représente « TOGETHER : Une Aventure Musicale Pixar » pour toi ?
C’est probablement l’une des histoires les plus émouvantes sur lesquelles j’ai eu à travailler. L’autre particularité, c’est que les effets n’ont pas été conçus pour la scène, mais pour les spectateurs. Le défi, c’était de réussir à prolonger le spectacle jusque dans la salle, conçue non pas simplement comme une zone occupée par le public, mais comme une extension de la scène, dans un espace global où tout le monde, les artistes comme le public, est partie-prenante de l’histoire et partage les mêmes émotions. Je peux d’autant plus en témoigner que je les ai moi-même ressenties. J’adore ce spectacle. J’y ai passé parmi les plus beaux moments de ma carrière. J’attends avec impatience de voir les réactions du public.
Comme pour Disney Dreams !, tu t’installeras au milieu du public ?
Absolument ! Le but, c’est vraiment de partager des émotions tous ensemble. Je vais y emmener ma petite fille, l’asseoir à côté de moi et observer ses réactions. Je sais quand intervient chaque effet, et à ce moment, je ne regarderai pas le spectacle mais son visage à elle, et le visage de mon voisin de l’autre côté. C’est ce que je fais à chaque nouvelle production. Je ne vais pas voir le spectacle ; je vais voir les visiteurs voir le spectacle. Mon métier c’est de faire dire « wow » au public, si ce n’est pas le cas je retourne travailler mon effet jusqu’à ce que je puisse l’entendre. Et quand les spectateurs réagissent et prennent du plaisir comme je me suis fait plaisir à y participer, l’émotion est alors totale !
Source : InsidEars
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